. . DEVELOPPEMENT DURABLE . .
Un article par Bruno Maresca dans le Huffington Post
Porté par un véritable sacre populaire – plus de 700 000 entrées en salle en trois mois, contre 265 000 pour Le Syndrome du Titanic de Nicolas Hulot ! – Demain, le film de Cyril Dion et Mélanie Laurent, sorti au moment de la COP21, a reçu la consécration des Césars 2016 avec le trophée du meilleur documentaire.
Les clés de ce succès : une multitude d’initiatives citoyennes, qui font rêver d’un nouveau système
Ce succès tout à fait inédit paraît s’expliquer par deux partis-pris. Le premier est de donner à voir, à travers le monde, des initiatives locales qui montrent qu’il est possible, à différents niveaux, de s’engager dans la lutte contre le changement climatique. Le second est de faire comprendre que ce sont des initiatives qui d’ores et déjà pourraient faire système (l’alimentation, l’énergie, les circuits économiques locaux, l’éducation et la démocratie directe) et, qu’à ce titre, elles ne peuvent qu’emporter l’adhésion, en montrant ce qui marche et ce qui est “en marche”. Ce discours fait mouche et révèle a minima à quel point la société française rêve de sortir de la sinistrose et de la déprime ambiantes.
Cette volonté d’exploration des initiatives qui inventent des alternatives au système productiviste et consumériste, portée par l’idée qu’il se fait bien plus de choses que ce que l’on imagine, est dans l’air du temps. Le journaliste Eric Dupin l’a menée en France entre 2012 et 2014 et en a rendu compte dans Les défricheurs : voyage dans la France qui innove vraiment (La Découverte, 2014). Ce livre explore l’hétérogénéité et la richesse des initiatives et des personnes qui “explorent, de manière pragmatique, d’autres modes de vie, comme de nouvelles manières de travailler”. Il fait ressortir que ce qui rassemble tous ceux qui s’investissent dans l’habitat partagé, l’agriculture biologique ou encore les écoles alternatives, est un grand désir de sortir, avec plus ou moins de radicalité, des modes de production et de consommation mondialisés.
Au terme de son exploration, Eric Dupin était finalement pessimiste. Il soulignait que cette diversité des initiatives ne dessine pas un mouvement cohérent, de nature à converger vers un dispositif d’action coordonné et donc un processus de changement. Ses “défricheurs”, comme ceux de Demain, ne privilégient ils pas avant tout la “culture de l’exemplarité individuelle” ? “Faire quelque chose à son niveau” parait être leur credo, qui est très éloigné de la recherche d’un changement collectif, qui supposerait d’investir les institutions, et le champ politique. Pour cette raison, les défricheurs – s’ils sont nombreux – ne se reconnaissent pas comme mouvement social.
Demain quant à lui, veut convaincre que l’on peut changer le monde par l’exemple en essaimant les petites et grandes expériences. Mais échappe t-il au pessimisme pour autant : n’est il pas lui aussi traversé par le doute de pouvoir l’emporter sur les forces destructrices et réactionnaires du système économique et politique mondial ? Deux séquences impressionnantes en témoignent, au début et à la fin du film : la vision d’apocalypse de la ville de Détroit, abandonnée à elle-même depuis la faillite de l’industrie automobile, et la crise financière de l’Islande, qui suscite un très étonnant moment “constituant” de la société civile, que la classe politique de ce pays a fait avorter. A l’issue du film de Cyril Dion et Mélanie Laurent, comme du livre d’Eric Dupin, nous sommes bien devant cette question : penser le changement par le bas, par la multiplication des initiatives individuelles, est-ce la voie de notre avenir ? Et en fin de compte, que dit de notre époque l’engouement suscité par Demain ?
(Voir suite sur colonne de droite. . . )
(Cliquez ici pour la version anglaise de cet article)
Question for this article:
What is the relation between peasant movements for food sovereignty and the global movement for a culture of peace?
(. . . suite)
Une charge utopique : chacun pourrait reprendre le contrôle
Pour saluer la sortie du livre, le journal Libération avait qualifié Eric Dupin de “pèlerin de l’utopie”.
De son côté, sur le site de Médiapart, Jean-Louis Legalery note qu’à l’issue de la projection du film, les spectateurs se lèvent pour ovationner Demain, et que cela lui rappelle le film Z de Costa Gavras (1969) qui avait provoqué, en son temps, de telles réactions. Ces films qui faisaient se lever les spectateurs des années 70 étaient éminemment politiques : ils appelaient à la mobilisation collective pour transformer radicalement les institutions. Avec le recul, on peut dire qu’ils étaient portés par une forte charge d’utopie (utopie qui s’est brisée sur le réel, comme le montre durement la situation de la Grèce d’aujourd’hui).
On peut penser que ce qui fonctionne dans Demain, est cette charge d’utopie qui donne à chacun l’impression de pouvoir épouser un mouvement, d’entrer dans quelque chose qui est en marche. Ne pas rester chacun dans son coin à se croire vertueux, dans le registre des écogestes, mais s’engager dans quelque chose de neuf, en rupture avec le système dominant, comme les “fermes urbaines” ou les “monnaies locales”, et bien d’autres choses que montre Demain. Ces inventions, en faisant école, seront de nature à subvertir le système économique mondial.
Pourtant, le paysage qu’offre ce dernier ne parait changer pas de manière sensible. La ferme des 1000 vaches a bien vu le jour en France, comme au Danemark ou en Pologne. Et s’ils sont nombreux ceux qui font évoluer leurs pratiques (partage, recyclage, covoiturage…), il est bien difficile de démêler l’émergence d’un mode de vie nouveau de ce qui résulte avant tout de l’adaptation contrainte à la crise. Le basculement généralisé parait encore bien loin. Et dans la variété des exemples que filme Demain, l’Afrique et l’Asie apparaissent bien peu présentes.
Or le véritable enjeu de la transformation des modes de production et de consommation qui est devant nous, se situe dans ces pays : en 2030, plus de 66% de la classe moyenne mondiale sera asiatique (contre 28% en 2009, selon l’OCDE). Cette classe moyenne émergente, en forte croissance numérique, est en train d’adopter tous les schémas de consommation qui ont été ceux des classes moyennes occidentales : alimentation industrielle, voiture individuelle, expansion des espaces périurbains pour l’accès à la maison individuelle, tourisme de masse … Et dans un grand mouvement de balancier, les classes moyennes occidentales, devenues inquiètes du déclassement sous l’effet de la montée du chômage et des inégalités, adhèrent de plus en plus au “small is beautiful” de l’agriculture de proximité, des entreprises solidaires, des circulations douces, des énergies renouvelables, etc.
Vers une nouvelle conscience de classe, propre aux classes moyennes occidentales?
Ce que nous dit Demain, qui est incontestablement positif, c’est que les classes moyennes occidentales veulent se réapproprier la gestion de leur vie quotidienne, à l’échelle de leurs territoires de vie, à travers des initiatives collectives où règnent la bonne volonté et la bienveillance. Elles sont engagées dans un mouvement de prise de conscience d’elles-mêmes, de leurs intérêts, de leur besoin de vivre et de consommer autrement.
Or cette “conscience de soi” est précisément ce que les classes moyennes avaient perdu au tournant des années 80. Quand les luttes sociales se sont diluées, l’accès au bien être et à la consommation de masse se sont conjugués pour réduire la classe moyenne à l’état de simple rouage, indispensable au fonctionnement de l’économie mondialisée.
Alors rêvons, comme beaucoup de spectateurs, que Demain soit l’hirondelle qui annonce une nouvelle phase de l’histoire des classes moyennes. Vu le vent d’optimisme collectif que lève ce film, il est permis de faire ce rêve.