. TOLÉRANCE & SOLIDARITÉ .
Un article pour CPNN par Emmanuelle Dufossez
Il y a quelques mois, à l’occasion du Sommet Afrique France qui se tenait à Montpellier, la nécessité d’entrer dans une phase de coopération réelle avec les habitants a été enfin évoquée dans un cadre officiel et médiatisé, y compris par le Président Macron, qui a assuré que c’était le cap engagé par la France.
Il est urgent de saisir cette occasion pour faire progresser le projet pacifique : la coopération a besoin d’un objectif commun, et quel enjeu plus évident alors que celui de la Paix ?
En tant qu’enseignante française travaillant avec un collègue de la commune de Tessalit, j’aimerai partager notre expérience afin de démontrer que la coopération n’est pas seulement urgente mais qu’elle est surtout possible y compris dans des zones qui parce qu’elles sont déclarées rouges, se voient désertées par les ONG Internationales institutionnalisées et la plupart des journalistes.
Video fait par les élèves en Mali
Tessalit se trouve dans la région de Kidal, au nord du Mali. La France est très présente sur place, que se soit avec la force Barkhane, ou au sein de la Minusma, dont les campements sont répartis dans le Nord, le plus souvent assez près des communes, ce qui n’est pas toujours un facteur de protection des civils.
Il ne s’agit pas de mettre en doute l’intégrité des casques bleus mais de nous interroger sur leur capacité d’action sur le terrain sans une coopération internationale claire avec les populations sur place, dont on sait qu’elles sont tout simplement les premières victimes du conflit, conflit dont il serait d’ailleurs temps qu’il soit décrit clairement.
Quelque soit la complexité de la situation, il est important de dire que les populations aussi abandonnées soient-elles par les gouvernements successifs du pays, prennent leur destin en main. Elles le font dans la mesure des conditions matérielles très réduites qui sont les leurs, avec courage et intelligence mais sans notre soutien. La France ne l’ignore pas, qui trouve des collaborateurs efficaces sur place, quand il s’agit de combattre un ennemi pour le moment commun.
En décembre 2018, sur une sorte de coup de tête collectif optimiste, nous avons eu l’idée, avec mes camarades de Tessalit, d’organiser une rencontre entre un groupe de jeunes de mon collège en France et un groupe du même âge, accompagné d’un des rares enseignants d’état présents à Tessalit. (Voir l’article de CPNN de 19 octobre, 2021.) Par chance, mon Chef d’établissement, très sensible à la situation du Sahel, a partagé notre enthousiasme, et a fait installer une web cam et un micro dans ma salle de classe. Avec l’aide de la CPE, nous avons réuni un groupe d’élèves très motivés. De son côté, mon camarade Bakrene Ag Sidimohamed, a convaincu le chef du camp de la Minusma, situé à quelques kilomètres de la ville, d’accueillir le groupe de jeunes, afin qu’ils puissent accéder à une connexion internet et à du matériel permettant l’échange. Et l’aventure a commencé ! D’abord sous la forme de ces échanges réguliers, puis à travers des projets pédagogiques communs, plus ciblés.
L’objet n’est pas de décrire longuement ici notre travail. Ce qui me semble important, c’est d’apporter par notre témoignage, un exemple de ce que cette belle idée de coopération peut produire de miraculeux : c’est après coup, que nous avons pris conscience de ce que nous avions réussi à faire avec des moyens simples, évidents, en conjuguant les efforts, les compétences, les possibilités matérielles des uns et des autres, en France comme au Mali. Les projets qui ont suivis prouvent que la volonté mutuelle est l’ingrédient essentiel d’une coopération, puisque nous les avons réalisés contre vents et marées, et on peut le dire, sans aucun soutien matériel, si ce n’est la mise à disposition de la connexion internet par nos établissements respectifs (mon lycée en France, la Minusma à Tessalit) (pour une description plus précise du projet, cf article 2R3S)
En accueillant les élèves, la Minusma a rempli l’une de ses missions en faveur de la Paix. Les conséquences positives de ce projet en cours sont innombrables mais notre satisfaction se porte surtout sur l’élan de curiosité bienveillante qu’il a provoqué chez les jeunes.
Nous aimerions que cela continue.
Mais la situation en matière éducative de Tessalit est à l’image de ce qui se passe dans la région de Kidal, au Nord du Mali, et bien au-delà, sur une bonne partie de la bande saharo Sahélienne : les écoles publiques n’existent quasiment pas, si ce n’est parfois sur le papier : pas d’enseignants, pas de matériel ou si peu que cela revient à zéro, comme peut en témoigner Issouf Maïga, mon collègue de Tessalit, qui est à peu près seul avec ses plus de 350 élèves, lesquels bien sûr finissent par ne plus venir, si ce n’est pour des projets spécifiques, comme ceux que nous tentons de monter ensemble.
(Voir suite sur colonne de droite. . . )
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Depuis que j’ai commencé à travailler avec des enseignants et des volontaires de la région de Kidal, je suis touchée par l’engagement incroyable de toute une partie de la population pour faire avancer la cause de l’école. Un peu partout les habitants construisent tant bien que mal des salles de classes, qui ne sont parfois qu’un toit d’herbes sèches pour réunir les enfants à l’ombre. Ils se cotisent pour payer un enseignant qui acceptera cette tâche difficile et dangereuse, qu’il devra affronter la plupart du temps avec un matériel et dans des conditions désastreuses.
L’argument qui consiste à invoquer la dangerosité de la région pour y laisser toute cette jeunesse à l’abandon n’est pas recevable. Il est absolument possible d’aider cette population à sortir de la crise par sa propre force, les associations et ong locales présentes sur place font largement le travail des grands organismes qui ont désertés la région : se sont les intermédiaires naturels des projets de coopération, ceux sur lesquels il est possible de s’appuyer. En s’engageant pour l’éducation de ses enfants, la population de la région montre largement son besoin de Paix. Ils ne veulent plus voir leurs enfants partir faire la guerre.
On peut se demander sincèrement pourquoi depuis tant d’année, la Communauté Internationale n’a pas réussi à faire pression sur les gouvernements pour que l’éducation au Nord soit une priorité.
On peut aussi se demander comment il est possible que malgré la multitude d’appel à l’aide, de demande de subvention, de transport de matériel, rien ne se passe, alors même que nous apportons les gages d’un travail sérieux. La plupart du temps, c’est l’incertitude de la viabilité du projet qui est invoquée pour justifier du refus. Mais l’incertitude ne tient qu’à une série de préjugés sur la capacité et la volonté des habitants. Nous jugeons peut-être à l’avance, à l’aune des multiples scandales qui entachent notre propre industrie humanitaire. Pourtant il s’agit ici, d’hommes et de femmes qui veulent assurer un avenir à leurs enfants et par dessus tout, il faut le dire, c’est une chose qui revient souvent, dans les échanges auxquels j’assiste : un avenir de Paix.
L’absence d’éducation est un argument d’asservissement. Concrètement, le travail des enfants, notamment dans l’extraction de l’or, est une des conséquences immédiates de l’absence d’écoles. On peut alors se demander si réellement, l’éducation est une priorité logique, puisqu’il n’est plus nécessaire de démontrer ce que le travail des enfants apporte au système en terme de coût très bas des salaires et donc des marchandises.
Cette situation scandaleuse n’est pas récente ni unique.
Les écoles dans le Nord sont fermées depuis 2012, mais la réalité de la région est celle d’un abandon général, et ce qui tient malgré tout, est essentiellement le fruit d’une volonté collective. La communauté internationale n’a pas besoin de chercher midi à quatorze heure éternellement : au Mali, comme au Niger, il y a des jeunes hommes et femmes, qui souvent ont été entravés au beau milieu de leurs propres études par le conflit, et luttent aujourd’hui pour l’éducation de leurs cadets. Il faut simplement s’appuyer sur eux, soutenir les projets qui existent, avec confiance.
Des exemples très concrets à mettre sur la table, nous n’en manquons pas, et au delà des écoles fermées des communes importantes, se pose la question des enfants des populations nomades, une grande partie des habitants de la région, contraints de se sédentariser pour trouver un peu de sécurité. Pouvons nous réellement accepter que ces enfants soient privés d’école, alors même que nous avons signé la Déclaration Universelle des Droits de l’Enfant et que nous parlons de Paix ?
Puisqu’il y a des projets sur place, pourquoi ne pas travailler avec ceux qui les portent ? La question n’est pas d’envoyer des manuels ou des pupitres de temps en temps, mais surtout d’apporter un soutien ciblé à chaque projet, en s’appuyant sur les associations locales et les chefs de communautés. Nous devons accepter un fonctionnement différent du notre dans la gestion du collectif et aider ces peuples nomades dont la liberté semble inacceptable aux yeux des puissants, à former leurs enfants au monde actuel. Sans l’enseignement des langues vernaculaires et des langues véhiculaires, des mathématiques et de la culture, comment imaginer pour ces hommes et femmes de demain, qu’ils pourront aller se former dans les écoles et université, pour revenir, médecin, ingénieur, enseignant, construire la Paix qu’ils appellent de leurs vœux ? Et qui formera sur place les artisans de demain, alors que les familles peinent à se nourrir ? Il faut aider les professionnels sur place à transmettre leurs compétences.
La communauté internationale, les bailleurs, doivent accorder leur confiance sans chercher à reproduire un modèle scolaire occidental qui n’est pas toujours adapté et partir du postulat que les mères et les pères du Sahel souhaitent autant que nous le meilleur pour leurs enfants. Simplement.
Nous avons récemment été touchés par la tribune cosignée par plus de 30 élu(e)s de collectivités française et publiée par Cité Unie France. Tout comme nous ils appellent à une consolidation des liens avec les représentants de la population dans la région. Ces appels démultipliés seront-ils entendus, à l’heure où beaucoup trop de dirigeants sont tentés par les armes ? Pour ma part, je garde l’espoir, portée par le courage de mes amis, et j’espère que mon appel en faveur des écoles sera entendu.
Avec l’Association franco-malienne Tazunt, pour laquelle je m’exprime, nous pouvons faire des propositions très concrètes et sérieuses pour apporter un soutien réel en matière éducative, et nous serons heureux de répondre à vos remarques. Le cri d’appel de la population d’Intescheq doit être entendu, nous le mettons en pièce jointe. Nous ne pouvons plus laisser ces enfants sans aide, la situation devient chaque jour plus critique.
Contact : tazuntazunt (arobat) gmail.com