LIBRE CIRCULATION DE L’INFORMATION
Un article par par Anne-Marie El-Hage en L’Orient le Jour (republiéé avec permission de l’auteur)
Avec sa compagne de vie et de militantisme, la sociologue Ogarit Younan, le disparu aura initié une avancée palpable pour le Liban : le moratoire sur la peine de mort qui aura bientôt 20 ans.
Il était de ces adeptes de la non-violence qui ont rendu meilleure la société libanaise et le monde arabe. Une pensée qu’il a développée durant la guerre civile, au même titre que la laïcité, en réaction aux conséquences destructrices du conflit intercommunautaire libanais sur le tissu social. Walid Slaïby n’est plus. Il s’est éteint mercredi dernier à l’âge de 68 ans, vaincu par un cancer qui le rongeait depuis plus de 20 ans. Son nom, indissociable de celui de sa compagne de vie et de lutte, la sociologue Ogarit Younan, restera à jamais lié au militantisme pour le droit à la vie dans le cadre de la lutte pour l’abolition de la peine de mort. Les droits civils seront aussi au cœur de son combat pour une loi libanaise sur le statut personnel. Au même titre que les droits des travailleurs et la justice sociale, dès le début des années quatre-vingt, alors que la livre libanaise amorçait un premier effondrement.
Walid Slaïby, adepte de la non-violence et abolitionniste convaincu, est décédé mercredi dernier à 68 ans. Photo fournie par le Service médias d’Aunohr
Un immense héritage
De son engagement au service du Liban, il laissera un immense héritage. Une multitude de livres, de publications, de traductions, de propositions de loi, d’associations, de progrès tangibles sur le terrain, toujours avec Ogarit Younan. Avec en couronnement l’édification en 2015 de l’Académie universitaire pour la non-violence et les droits humains (Aunohr), une institution éducative dédiée à la non-violence qui continue de former des générations d’étudiants, de militants, de syndicalistes prêts à prendre la relève. Ce parcours verra le duo plusieurs fois récompensé, notamment par le Prix des droits de l’homme de la République française 2005, le Prix de la Fondation Chirac en 2019 et le prix Gandhi pour la paix décerné en 2022 par la fondation indienne Jamnalal Bajaj, du nom du disciple du Mahatma Gandhi.
C’est dans sa lutte contre la peine de mort que Walid Slaïby aura initié l’avancée la plus palpable. « C’était un soldat silencieux contre la peine capitale. Mais son travail était des plus importants », confie Wadih Asmar, président du Centre libanais pour les droits humains (CLDH). Après avoir fédéré plusieurs associations autour de la Campagne nationale pour l’abolition de la peine de mort, le militant rallie à la cause une partie de la classe politique et judiciaire, au cours d’événements choc fortement médiatisés. En 1998, alors que deux cambrioleurs, dont l’un avait commis un double meurtre, étaient pendus à Tabarja sur la place publique, il proclamait ouvertement lors d’un sit-in nocturne « le deuil pour les victimes du crime et pour celles de la peine capitale ». Résultat, les dernières exécutions remontent à 2004 au Liban, même si la justice continue de prononcer la sentence de mort. « Le Liban est désormais classé parmi les pays abolitionnistes de facto. En 2020, pour la première fois de son histoire, il se prononçait pour un moratoire lors de l’Assemblée générale de l’ONU, aux côtés de 122 autres États. Une position récemment réitérée », se félicite l’ancien ministre Ibrahim Najjar, abolitionniste engagé. L’homme de loi n’a pas personnellement connu le disparu, mais il se dit « respectueux et admiratif du courage de Walid Slaïby et de sa compagne Ogarit Younan, qui se sont conduits en abolitionnistes convaincus ». « Car le combat n’est pas évident. Il est si aisé de confondre vengeance et peine capitale », souligne-t-il.
(Voir suite sur colonne de droite.)
(cliquez ici pour une version anglaise.
Where in the world can we find good leadership today?
(. . suite)
Pour une loi libanaise sur le statut personnel
La personnalité de Walid Slaïby n’est pas étrangère à sa grande popularité. « Walid était un homme de dialogue, attentif à ses amis. C’est par le débat et l’acceptation de l’autre qu’il a réussi à jeter les bases de la culture des droits de l’homme au Liban, et en particulier de la non-violence », affirme Ziad Abdel Samad, ami du couple, ingénieur et enseignant en sciences politiques. « Malgré les divisions de la société libanaise, il a réussi à dépasser les milices et les frontières pour mener une lutte avant-gardiste et réaliser des avancées remarquables », observe-t-il, évoquant les efforts du disparu pour sensibiliser la jeunesse et rapprocher les Libanais de différents confessions et horizons. C’est aussi dans l’institutionnalisation du combat que Walid Slaïby a puisé sa force. « Lorsque je l’ai connu au début des années quatre-vingt-dix, il organisait des formations aux droits de l’homme contre la discrimination confessionnelle, se souvient l’activiste Rima Ibrahim. Malgré sa maladie, il n’a jamais cessé de rêver de changer la société libanaise, au point d’institutionnaliser le combat. »
Plusieurs associations voient alors le jour, liées à l’Association libanaise pour les droits civils (LACR), notamment Chamel et Bilad. En 2011, le couple militant lance sa campagne de revendication pour une loi libanaise sur le statut personnel qui prône, entre autres, le mariage civil. Au Liban, les lois de la famille sont régies par les communautés religieuses. Elles découragent les unions interreligieuses et sont discriminatoires envers les femmes. « Pour l’occasion, nous avons organisé un sit-in et installé une tente durant 10 mois, place Riad el-Solh, au centre-ville de Beyrouth. Nous avons aussi préparé une proposition de loi », se remémore Rafic Zakharia, avocat, enseignant et membre de l’association. Signé par le député Marwan Farès, le texte est présenté au Parlement et transféré aux commissions conjointes. « La loi n’a pas été adoptée. Mais notre mobilisation n’a jamais faibli », assure l’activiste, dont la « vie a changé » depuis qu’il a rencontré Walid Slaïby. « La pensée non violente est devenue pour moi un mode de vie, pas seulement un combat », observe ce spécialiste de la peine de mort.
Le bonheur d’avoir donné de l’espoir aux Libanais
Le militant, le penseur, l’humaniste doté d’une intelligence supérieure et d’une bonne dose d’humour s’en est allé avec modestie et élégance, comme il a toujours vécu. « Walid Slaïby était à la fois un grand humaniste et un homme de science. Très solide dans ses convictions, il était flexible lorsqu’il s’agissait de discuter. Jamais donneur de leçons, il n’était pas homme à se pavaner, mais était au contraire d’une grande discrétion », le décrit l’avocat et ancien ministre Ziyad Baroud, membre du conseil d’administration d’Aunhor, qui le connaît depuis plus de 25 ans. Multidiplômé, le disparu était en effet ingénieur civil (ESIB), licencié en physique (UL) et en économie (AUB). Des études qu’il a complétées d’un DEA en sciences sociales (UL), d’un doctorat d’État en économie (Université de Reims) et d’un doctorat en philosophie politique (Saint-George, Royaume-Uni).
Il manquera aux défenseurs des droits de l’homme, à commencer par les abolitionnistes du monde entier qui lui rendent hommage ainsi qu’à sa compagne. « C’était un astre de lumière et de raison dans un monde d’ombre et de folie », résume Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général de l’association internationale ECPM (Ensemble contre la peine de mort). « Avec Ogarit, ils formaient ce duo incroyable qui a consacré sa vie depuis plus de 40 ans en vue d’un Liban moderne », poursuit-il, se félicitant d’avoir eu « la chance de lui envoyer avant sa mort l’amour de la communauté abolitionniste du monde entier ». Walid Slaïby manquera surtout à son alter ego, son âme sœur, Ogarit Younan, avec laquelle il devait célébrer 40 ans d’amour et d’activisme. « Nous attendions que le temps s’améliore un peu. Nous voulions une belle fête. Nous ne pensions pas qu’il était si près de la mort. Il aimait tant la vie. Il avait tant d’humour », regrette-t-elle tristement. Et si la maladie a occupé une bonne moitié de leur vie à deux, il aura au moins eu « le bonheur de servir son pays et de donner espoir aux Libanais ». « Le Liban doit être content, nous l’avons servi, se console Ogarit Younan. Mais si Walid n’était pas tombé malade, sans aucun doute, le Liban aurait été autre… »