DESARMAMENT & SECURITE .
Un article de L’Humanite
Table ronde avec Paul Quilès, président d’IDN, ancien ministre de la Défense et ancien président de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements, coanimateur d’Ican France (Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires) et Roland Nivet, vice-président du Mouvement de la paix.
Rappel des faits. Avec l’exacerbation des tensions en Asie, la question de la paix se fait urgente. Dans le cadre de la Journée internationale de la paix, un appel à manifester partout en France le samedi 23 septembre a été lancé par un collectif de plus de 50 organisations.
Un regain des tensions internationales semble pouvoir être observé depuis l’intronisation du nouveau président des États-Unis. Cette situation est-elle irréversible ?
Paul Quilès
Donald Trump n’est pas le seul responsable de ce que vous appelez le regain des tensions internationales, même si ses foucades et son attitude changeante et agressive ont tendance à déstabiliser la scène internationale. Au-delà de l’effervescence d’une actualité que les médias nous font vivre minute par minute, il faut replacer les évolutions dans leur contexte sur le long terme. Notre monde multipolaire est traversé de nombreux conflits d’intérêts et d’affrontements potentiels. La diminution des tensions ne peut se faire que s’il existe au niveau international une volonté des grandes puissances de dialoguer, ce qui est inconciliable avec la défiance systématique, l’antagonisme radical et les menaces.
La nouvelle course aux armements à laquelle on assiste vient rendre encore plus difficile ce nécessaire dialogue. Il est regrettable à cet égard que la France, signataire du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), ne respecte pas ses engagements et s’apprête à augmenter de façon substantielle le budget de la dissuasion nucléaire. Quant au discours officiel des puissances dotées de l’arme atomique (dont la France), il rejoint de façon étonnante celui du dirigeant nord-coréen, justifiant la possession de cette arme par la nécessité d’assurer la défense des « intérêts vitaux » de son pays ! L’accord négocié il y a deux ans avec l’Iran montre que, même dans un contexte très complexe, une volonté politique bien affirmée et un travail diplomatique persévérant peuvent ouvrir les voies d’un monde moins tourné vers le conflit.
Patrice Bouveret
Le regain des tensions a en effet démarré avant l’arrivée de Trump à la présidence des États-Unis, même si sa manière de gérer les relations de son pays avec le reste du monde a provoqué une accélération de certaines crises en cours. Il faut effectivement sortir du temps court médiatique pour prendre en compte, d’une part, les causes profondes du désordre international actuel – principalement le renforcement des inégalités –, d’autre part, les principales menaces auxquelles nous sommes confrontés, à savoir le dérèglement climatique et les armes de destruction massive. L’histoire nous a appris qu’aucune situation n’est irréversible. Tout dépend de la capacité des différentes sociétés civiles à s’emparer de tel ou tel sujet pour venir bousculer le jeu des États et de leurs dirigeants – sur un plan interne de chaque pays, comme au niveau de la communauté internationale. En cela, l’adoption du traité d’interdiction des armes nucléaires par l’ONU en juillet dernier est un bon exemple de ce que la mobilisation des associations peut obtenir lorsqu’elles se regroupent autour d’un objectif précis et qu’elles trouvent des relais parmi une majorité d’États. L’opposition farouche des puissances nucléaires, les pressions qu’elles ont exercées sur nombre d’États, souligne, s’il le fallait, le choc provoqué par cette évolution.
Roland Nivet
Trump multiplie les décisions irresponsables et contribue à créer un climat de peur permettant de justifier des augmentations colossales du budget militaire des États-Unis, source de profits pour le complexe militaro-industriel. Il sera porté à 600 milliards de dollars en 2018 (+ 54 milliards). Il alimente la course aux armements (1 800 milliards de dollars en 2016 au plan mondial), la militarisation des relations internationales, et perpétue les logiques de domination. La politique de l’Otan d’encerclement de la Russie, la crise coréenne, etc. attisent les tensions. Ces politiques accentuent le caractère incertain et dangereux de la période actuelle. La situation, notamment au Proche et Moyen-Orient, montre que la guerre est toujours un échec, conduit au chaos et engendre des monstruosités comme Daech. Elle n’est jamais la solution. Par contre, la résolution politique de la crise iranienne, la transition pacifique en Colombie, l’adoption à l’ONU d’un traité d’interdiction des armes nucléaires montrent que les solutions politiques sont possibles et que rien n’est irréversible.
L’ONU a voté un traité d’interdiction de l’arme nucléaire, le 7 juillet dernier. Comment sortir de l’ère de la terreur nucléaire ?
Patrice Bouvere
En faisant en sorte que ce traité entre en vigueur et que les neuf puissances nucléaires actuelles – pour rappel, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, États-Unis, Russie, France, Chine, Royaume-Uni, plus Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord – se retrouvent contraintes d’y participer, non seulement en arrêtant de moderniser leur arsenal – comme projette notamment de le faire la France —, mais également en éliminant de manière contrôlée, transparente et irréversible leurs armes nucléaires. Cela implique bien sûr un changement complet de leur stratégie, qui repose actuellement sur la menace de destruction massive, une stratégie non pas destinée à assurer la sécurité des populations, mais leur domination sur la scène internationale – ou l’« impunité » du régime sur son espace national comme pour la Corée du Nord ou Israël –, au risque d’une destruction totale de la planète ! Or, comme le constatait Mikhaïl Gorbatchev au lendemain de l’effondrement du bloc soviétique, « chacun doit assurer la sécurité de l’autre ». C’est exactement le chemin inverse qui est mis en œuvre avec la menace nucléaire et l’augmentation des budgets militaires.
(Voir suite sur colonne de droite. . . )
(Cliquez ici pour la version anglaise de cet article.)
Does military spending lead to economic decline and collapse?
(. . . suite)
Paul Quilès
Il faut pour cela démontrer que l’arme nucléaire ne sert à rien dans les conflits actuels et à venir, qu’elle est en elle-même cause de prolifération nucléaire, qu’elle est très coûteuse et qu’elle est terriblement dangereuse. Le monde a frôlé la catastrophe lors de la crise des missiles de Cuba, en 1962, sans oublier les dizaines d’accidents recensés ou les possibles erreurs d’interprétation qui ont failli conduire au déclenchement du feu nucléaire. Demain, une erreur technique, une cyberattaque, un attentat terroriste pourraient mettre en cause la sécurité mondiale. L’utilisation, même limitée, de l’arme nucléaire aurait des répercussions environnementales catastrophiques sur une partie de la planète, entraînant, par un « hiver nucléaire », la dévastation de l’agriculture, le froid et la famine. Le traité qui vient d’être voté à l’ONU a pour but de délégitimer l’arme nucléaire, comme cela a déjà été fait pour éliminer des armes de destruction massive – biologiques, chimiques –, les mines antipersonnel, les sous-munitions, pour interdire les essais nucléaires et même pour réduire les stocks d’armements nucléaires (passés de 70 000 à la fin des années 1990 à environ 15 500 aujourd’hui). Il est la preuve indiscutable de la volonté d’une majorité d’États de dépasser l’ère de la terreur nucléaire, ce malgré les fortes pressions contraires des États « dotés ».
Roland Nivet
Le traité de l’ONU du 7 juillet affirme que les armes atomiques constituent un risque majeur de catastrophe humanitaire. Il interdit à tout État de s’engager dans le développement, le test, la production, la fabrication, l’acquisition, la possession ou le stockage d’armes nucléaires et interdit tout engagement visant à utiliser ou à menacer d’utiliser des armes nucléaires. C’est un nouveau succès historique à mettre à l’actif des actions qui, depuis les années 1950, ont mobilisé des dizaines de millions de personnes pour l’élimination de toutes les armes de destruction massive, et ce, sans sous-évaluer la détermination du complexe militaro-industriel et des neuf États, qui possèdent au total 18 000 bombes nucléaires (184 États n’en possèdent pas), à retarder sa mise en œuvre. Mais, le principe de l’illégalité des armes nucléaires étant confirmé, c’est le calendrier de leur élimination qui est maintenant à l’ordre du jour. Le registre de ratification du traité sera ouvert à l’ONU le 20 septembre 2017. Il y a urgence à se rassembler dans l’action pour gagner la ratification du traité par le maximum d’États, dont la France, mais aussi le gel immédiat des programmes de modernisation, pour lesquels il est prévu en France de doubler les dépenses consacrées aux armes nucléaires dans les années à venir, alors que tant de moyens manquent pour la satisfaction des besoins sociaux (santé, éducation, emploi).
Quel peut être le rôle des mobilisations populaires dans l’imposition de la paix comme finalité des relations internationales ?
Patrice Bouveret
La guerre est avant tout le résultat d’un choix politique. Donc, il est évident que les mobilisations des différentes sociétés civiles, l’établissement de solidarités fortes entre elles, sont primordiales. Reste à définir ce qu’on entend par le mot « paix » ! Car on assiste à une pacification globale de nos sociétés. Le nombre de morts du fait des conflits armés est en diminution. Sauf qu’en parallèle, le nombre de migrants, la violence qu’ils subissent explosent ; les catastrophes climatiques entraînent des conséquences humaines dramatiques de plus en plus importantes, pour ne prendre que les deux exemples les plus criants… Sauf que cette pacification s’opère avec un renforcement de la militarisation de nos sociétés, au travers du développement notamment de différents outils de contrôle social, de la réduction des libertés individuelles, etc.
La paix n’est pas seulement l’absence de guerre, mais doit s’accompagner de liberté et de justice sociale. Elle doit être partagée par chacun de nous, quel que soit l’endroit de la planète où nous habitons. C’est bien tout l’enjeu du traité d’interdiction des armes nucléaires qui concerne le droit des États non dominants à dire précisément le droit, un droit contraignant pour tous.
Roland Nivet
Une convergence mondiale de forces pour la paix se met en place par la conjonction de la mobilisation des peuples (syndicats, ONG, parlementaires, maires, Croix-Rouge internationale, mouvements féministes, pacifistes et de défense de l’environnement, associations de défense des droits humains, forums sociaux…) avec l’action des Nations unies. C’est cette convergence qui a gagné le traité d’interdiction et s’attache à bâtir la paix à travers des projets comme la culture de la paix et les objectifs du développement durable (ODD). C’est dans ce contexte que s’est construit en France le collectif En marche pour la paix, incluant plus de 120 organisations diverses qui agissent pour les droits humains, contre le racisme et la xénophobie, pour l’égalité hommes-femmes, pour la diminution des dépenses d’armement, pour l’éducation à la paix, pour faire face à l’urgence climatique. Dans cette dynamique, 53 organisations de ce collectif ont coécrit un livre blanc pour la paix, qui formule des propositions alternatives concrètes pour une politique de paix. Ce livre blanc entend être un outil au service du débat et de la mobilisation populaire de tous ceux qui entendent se rassembler pour que le droit de chacun à la paix et à une sécurité humaine soit la finalité première des relations internationales. Estimant « qu’aucune de nos différences de convictions, d’appartenance ou de sensibilités philosophiques, politiques, religieuses, syndicales ou autres ne doit faire obstacle à l’expression de notre volonté commune de vivre en paix dans un monde de solidarité, de justice et de fraternité », ce collectif appelle, dans le cadre de la Journée internationale de la paix, à organiser, partout en France, le samedi 23 septembre, des marches pour la paix pour exprimer cette volonté commune. Ces marches contribueront aussi à la vague mondiale pour la paix lancée le 6 août 2017 à Hiroshima
Paul Quilès
Cette mobilisation serait souhaitable et certainement efficace, même si les dirigeants n’écoutent pas toujours le peuple ! Encore faudrait-il que celui-ci puisse s’exprimer et qu’on lui donne les éléments d’information lui permettant d’apprécier ce qui se passe quand un conflit prend de l’ampleur. Par exemple, les déclarations alarmistes et parfois caricaturales autour du dossier coréen n’aident pas à comprendre l’origine lointaine de l’affrontement entre la Corée du Nord et les États-Unis, les intérêts en présence, le rôle de la Chine. En suggérant des réponses de nature guerrière (le bombardement des sites nucléaires coréens), en évoquant l’hypothèse d’une 3e guerre mondiale ou en faisant croire que la France pourrait être à la merci d’un tir de missile coréen, on cherche à prouver à l’opinion publique qu’il n’y a pas d’autre réponse que militaire, ce qui est inexact.