LIBERTÉ DE L’INFORMATION .
Un article par Nestor Bidadanure (abrégé)
Quel est le facteur idéologique majeur qui légitime la violence identitaire dans l’Afrique post-coloniale? Comment le concept de Culture de Paix peut-il contribuer à l’instauration d’une paix durable en Afrique ?
Illustration of article from The Thinker (copyright shutterstock)
L’héritage de la liberté
« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir » disait Frantz Fanon, dans son livre Les Damnés de la terre, rédigé en 1961 et qui influencera fortement la conscience politique des militants anticolonialistes et tiers-mondistes de son époque. Si nous nous plaçons du côté des générations qui ont vécu l’esclavage, la colonisation et l’apartheid, nous pouvons dire, avec une certaine prudence, que la réalité politique du continent africain s’est aujourd’hui globalement améliorée. Les lois qui légitimaient l’inégalité entre les humains et justifiaient l’occupation des territoires des peuples des cultures différentes ont été abolies. Des dirigeants progressistes africains ont réussi à déjouer des manipulations identitaires coloniales en fédérant les résistances internes et organisant les solidarités panafricanistes et internationales avec d’autres peuples en lutte. La violence politique et économique que continuent de vivre de nombreux peuples africains ne doit nous faire oublier les victoires remportées sur l’oppression. Grâce à la lutte des peuples, d’importants droits économiques et sociaux ont été conquis dans une large partie du continent. Une certaine égalité citoyenne et de genre a vu le jour sur les décombres des lois discriminatoires. Nous devons nous souvenir qu’aucun droit n’est naturel : chaque espace de liberté dont nous jouissons aujourd’hui est le fruit des batailles épiques des peuples pour la justice et la dignité humaine.
Outre la culture de résistance, nous sommes aussi les héritiers des valeurs et techniques de résolution pacifique des conflits. Face à des tragédies comme l’apartheid, le génocide au Rwanda, la guerre au Mozambique, nous avons vu les peuples puiser dans leur culture ancienne pour sortir de l’impasse et réconcilier des sociétés durement éprouvées.
C’est grâce à l’héritage de la liberté des combattants d’hier que nous pouvons aujourd’hui regarder l’avenir avec optimisme et affirmer avec certitude qu’une Afrique meilleure est possible. En fait le défi majeur de notre génération ne consiste pas à commencer l’histoire mais à refuser de s’arrêter au milieu du long chemin parcouru par les générations qui nous ont précédés dans la lutte pour liberté. Car aussi longtemps que subsistera la guerre et la pauvreté dans la plus petite portion du continent africain, la liberté promise par les pères du panafricanisme aura besoin d’autres héros pour advenir. Tant qu’existeront des peuples privés de liberté quelque part au monde, nul ne devra se sentir totalement libre.
La mission de la génération post-coloniale et post-apartheid que nous sommes consiste donc à lutter pour une paix durable en Afrique. Pour ce faire, il est essentiel de commencer par appréhender le système de pensée qui continue à rendre possible la pauvreté et la violence identitaire dans notre continent. En d’autre mots, il faut identifier l’obstacle majeur à l’émergence d’une Afrique libre, démocratique et sans exclusion pour laquelle ont lutté les générations précédentes. Une Afrique où la paix n’est plus un rêve mais une réalité.
De notre point de vue, l’essentiel de la violence politique et économique dont sont victimes les peuples africains aujourd’hui s’enracine dans un système de pensée que nous appelons le Populisme Identitaire Radical (en abréviation le PIR). Quel est donc le visage du PIR et en quoi le concept de Culture de Paix peut-il nous servir d’anti-thèse aux préjugés qui servent d’ossature au PIR ?
(Voir suite sur colonne de droite. . . )
Where in the world can we find good leadership today?
(. . . suite)
Le populisme identitaire radical
. . . en Afrique, la décolonisation juridique n’a pas été suivie d’une rupture idéologique avec le modèle de gouvernance coloniale chez une partie de l’élite politique. Celle-ci a perpétué, au delà des indépendances, le rapport violent au peuple. Si pour les colons l’ennemi était les indépendantistes, chez l’élite post-coloniale, non libérée mentalement des préjugés coloniaux, le nouvel ennemi est devenu l’autre perçu comme différent. Les discriminations contre le colonisé ont été remplacé par les discriminations contre l’autre ethnie, l’autre religion, les ressortissants de l’autre région, les étrangers… La pratique coloniale de diviser pour mieux régner est jusqu’à aujourd’hui l’arme politique préférée des élites extrémistes. Le phénomène des crimes contre l’humanité tels que le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, des massacres à caractère ethnique au Burundi, en 1993, la guerre fratricide au Sud Soudan, les crimes de masse orchestrés par l’armée du seigneur, la LRA, en Ouganda et en RDC, la guerre menée par les organisations islamistes radicales d’Al Shabab en Somalie, de Boko haram au Nigeria, Al Qaïda et l’Etat islamiste en Libye, au Maghreb et au Mali s’enracinent dans des système de pensée théorisés qui légitiment la violence extrême. . . C’est contre le PIR que les nouveaux combattants de la liberté doivent se dresser pour que puisse un jour advenir une Afrique en paix avec elle même.
Par populisme, il faut entendre la démagogie politique distillée à travers des discours de haine de l’autre différent. . . . Par identitaire, il faut entendre l’instrumentalisation des différences réelles ou supposées à des fins de prise ou de conservation du pouvoir . . . Par radical, il faut entendre la volonté d’extermination de l’autre différent. . .
Pour une Afrique en paix
La Culture de Paix n’est pas un concept fermé. C’est un concept qui intègre les éléments constitutifs des traditions des peuples qui permettent la résolution pacifique des conflits et la diffusion des valeurs de paix. De ce point de vue, la philosophie d’Ubuntu, la tradition d’Ubushingantahe au Burundi, la justice traditionnelle et participative Agacaca au Rwanda sont autant d’éléments constitutifs de la Culture de Paix. Analysons les clefs constitutives de la Culture de Paix en rapport avec la situation africaine.
1-Le respect de la vie, de la personne humaine et ses droits. . .
2-L’accès des citoyens aux droits économiques et sociaux . . .
3- La résolution pacifique des conflits et la réconciliation . . .
4- L’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que l’inclusion des diversités . . .
5- La démocratie et la liberté d’expression . . .
6- Le respect de l’environnement . . .
La Culture de Paix doit être pensée et enseignée comme un idéal qui permet de relier et de renforcer ce qui a été délié. C’est une théorie inclusive et réconciliatrice. Elle est l’anti-thèse du PIR. C’est une théorie qui permet de penser les différences au sein d’une nation comme une précieuse richesse. Elle nous rappel qu’il n’y a pas d’identité nationale hors la diversité tant culturelle qu’humaine de l’ensemble des citoyens. La Culture de Paix plaide pour l’accès de toutes et tous aux droits humains. Car rien n’est nouveau sous le soleil : c’est toujours la pauvreté et l’ignorance qui font le lit à la démagogie identitaire.