CPNN Administrator
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Posted: Dec. 22 2012,11:35 |
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(Suite de l'article ci-dessus)
Remarques de Moncef Marzouki sur les révolutions arabes:
A la fin des années 90, j’avais écrit que si le 18eme siècle a été le siècle de la révolution française et américaine, le 20eme celui de la révolution russe et chinoise, le 21 siècle sera le siècle de la révolution arabe. Ce n’était pas à force de lire dans le marc de café, mais dans les livres de l’Histoire. Les grandes nations ne se suicident ni ne se laissent mourir.
Au plus profond d’elles-mêmes elles finissent, quand tout semble perdu, par retrouver l’énergie de rebondir. Plus long est le calvaire, plus profonde est la chute, plus forte est l’énergie qui va les propulser hors du trou où elles sont tombées. Les révolutions arabes inscrites dans une sorte de fatalité de l’Histoire, ont donc fini par arriver. . .
Il n’y a vraiment rien à craindre des révolutions arabes car ce ne sont pas révolutions nationalistes et xénophobes. Lors de leurs déclenchements, On n’a pas entendu les habituels slogans anti-occidentaux ou anti-israéliens. Et pour cause, La liberté n’est plus à arracher à l’occupant étranger mais à une dictature corrompue et brutale qui a fini par se constituer en véritable occupation interne.
Les dernières manifestations violentes de salafistes jihadistes contre des ambassades occidentales lors de cette lamentable histoire de vidéo islamophobe, n’ont réuni que quelques centaines d’individus sous le regard inquiet et désapprobateur de l’écrasante majorité.
Non, il n’y a vraiment rien à craindre des révolutions arabes car ces révolutions sont d’abord et avant tout des révolutions sociales se battant pour les mêmes droits sociaux et économiques qui ont été à l’origine de vos propres évolutions ou révolutions.
Non, il n’y a rien à craindre des révolutions arabes car ce sont des révolutions démocratiques.
Certes des partis islamistes ont remporté des victoires électorales indéniables en Tunisie, en Libye, en Egypte. Mais n’est-ce pas la démocratie qui a amené une fraction importante des islamistes dans son camp? N’est-ce pas elle qui leur a imposé ses règles, son éthique et en arrière-plan sa vision des rapports politiques qui doivent régir la société d’aujourd’hui ?
Non ce n’est pas l’islamisme qui triomphe dans le sillage du printemps arabe qu’il pervertirait ou récupèrerait comme le craignent ou l’affirment certains commentateurs occidentaux et arabes, mais bel et bien la démocratie qui continue à conquérir le monde.
Ce ne sont pas les démocrates qui se sont ’’convertis’’ à cette idéologie politique appelée l’islamisme, mais ce sont bien les tenants de cette doctrine – du moins la fraction modérée largement majoritaire dans le spectre islamiste tunisien – qui se sont convertis à la démocratie.
Sont-ils sincères ou manoeuvrent-ils ? Qui le dira mieux que le temps. Ils devront apprendre le jeu et à le jouer selon les règles, sinon ils réinstalleront une dictature religieuse que les Arabes liquideront comme ils ont liquidé celles à visage nationaliste ou socialiste.
Quant à ceux qui parlent déjà de l’hiver islamiste succédant au printemps arabe ils ne semblent pas connaître le nombre d’années voire de décennies qu’il a fallu à d’autres peuples pour retrouver un équilibre après une révolution.
Mesdames et Messieurs
Pour ce qui est du devenir de ces révolutions, tout est en jeu, rien n’est encore joué.
En Tunisie, nous sommes fiers d’avoir fait une révolution au plus faible coût humain possible. Je pense ici avec une grande émotion au calvaire du peuple syrien qui lui paye sa liberté au plus fort et qui a besoin plus que jamais du soutien humanitaire et politique de tous les peuples libres.
Nous avons mis en place un gouvernement de coalition entre laïcs modérés et islamistes modérés pour que les deux composantes modernistes et traditionalistes de notre peuple se retrouvent dans ceux qui conduisent cette phase si délicate de la transition.
Ce gouvernement fonctionne. Il a restauré un Etat qui avait cessé d’exister en 2011. Il a remis en marche la machine économique qui fait que la Tunisie est passée d’un taux de croissance de -2.5 en 2011 à + 3% en 2013.
Le gouvernement dysfonctionne par tous les conflits personnels et politiques propres à toutes les coalitions. Mais nous n’avons pas de meilleur choix et il faudra bien s’en accommoder jusqu’aux prochaines élections que nous voulons aussi proches que possible. Nous rédigeons depuis des mois la constitution d’un Etat démocratique et civil et d’une société plurielle avec les difficultés que vous imaginez mais là aussi l’esprit du consensus l’emporte et nous espérons nous mettre d’accord sur le texte dans deux ou trois mois.
Nous sommes absolument déterminés à promouvoir et défendre toutes les libertés, à protéger les acquis de la femme, mais on ne change pas les attitudes et les comportements de plus de cinquante ans en deux années. Nous sommes déterminés à protéger le mode de vie de la Tunisie moderniste et à élever le niveau de vie de la Tunisie pauvre et oubliée, mais les défis sociaux-économiques sont colossaux tant l’héritage de la dictature soigneusement camouflé sur plus de vingt ans se révèle lourd.
Nous sommes absolument déterminés à continuer notre stratégie d’absorption de la fraction modéré de l’islamisme - car elle existe n’en déplaise aux idéologues qui ne voient ni la complexité , ni la dynamique de la chose politique – et tout aussi déterminés à faire face à sa fraction insoluble dans la démocratie et ce par les moyens sécuritaires dans le cadre de la loi et du respect des droits de l’homme mais surtout par le développement social économique et culturel.
Nous n’accepterons jamais que ce courant – l’équivalent de votre extrême droite, mette en danger, notre modèle de société profondément arrimé à son héritage arabo-musulman et résolument tournée vers la modernité. Nous ne le laisserons pas mettre en danger les acquis de la femme, les droits de l’homme ou la relation à l’Occident que nous voulons pacifiée amicale et basée sur le respect mutuel et le partenariat profitable à nos deux communautés.
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